OUI A L'EUROPE POLITIQUE

Après 50 ans de barbarie et de guerre, la seconde moitié du 20ième siècle a été marquée par trois évolutions fondamentales qui ont changé la face du monde :

La conjonction de ces trois facteurs fait qu'aujourd'hui, à l'aube du XXI ième siècle, se pose enfin, la question des modalités d'unification d'un continent européen, après deux guerres mondiales, 50 millions de victimes et une séparation par un rideau de fer de 45 ans.

Car la donne n'est plus la même, l'Europe d'aujourd'hui, et surtout celle que nous avons à bâtir demain, n'est plus ce « club des 6 », sorte de nostalgie de l'empire carolingien, mais une Union de 25 puis de 27 pays.

L'union européenne acquière dorénavant une dimension continentale.

Et la question qui nous est posée aujourd'hui, à travers le traité constitutionnel est celle là : comment réaliser ce projet d'unification politique d'un continent tout entier ; avec quelles valeurs, quelles institutions, quelles politiques communes ?

La réponse à ces questions fera l'objet de trois parties de mon intervention.

I/ Des valeurs communes ou le « rêve européen »

Jérémy Rifkin estime que le rêve européen va remplacer le rêve américain, en perte de vitesse. Le problème, selon Rifkin, c'est que les Européens n'en ont pas encore conscience.

Pour lui, les valeurs constitutives de l'Amérique, Liberté civile (dont le droit d'entreprendre) et civique (par la démocratie représentative et la séparation des pouvoirs), sont certes essentielles, mais aujourd'hui insuffisantes.

Elles sont figées dans les idéaux du XVIII siècle et n'ont pas évoluées, pour prendre en compte d'autres dimensions, comme les droits collectifs, le bien-être de l'individu, l'environnement.

De ce point de vue, la modernité du traité constitutionnel est éclatante. Les valeurs et objectifs proposés sont sans équivalents dans le monde.

Relisez attentivement les articles I-2 et I-3, ainsi que la charte des droits fondamentaux (partie II du traité). Tout y est. Le traité reprend l'ensemble des droits de l'homme, et y ajoute les dimensions manquantes, citées par Rifkin.

Oui, autour de ces valeurs là, nous créons une unité continentale, nous définissons une identité commune, et unique à ce jour dans le monde.

II/ Des institutions plus démocratiques, plus visibles et plus efficaces.

a) Des institutions plus démocratiques

A chaque nouveau traité, le parlement gagne en pouvoir, et c'est une excellente chose. Pour mémoire, il n'est élu au suffrage universel que depuis 1979, déjà sous l'impulsion franco-allemande.

Les nouveautés importantes :

b) Une Europe plus visible

Trois éléments sont à relever :

c) Des institutions plus efficaces

Le double enjeu est à la fois d'approfondir les liens existants entre les pays qui sont membres de l'Union depuis longtemps, et de réussir l'amarrage des anciens pays de l'Est dans l'espace européen. Il faut réussir sur le plan politique, économique et social ce qui a été réussi avec l'Espagne et le Portugal : ancrer définitivement la démocratie représentative, et les accompagner d'un progrès économique et social.

Il y a trente ans, l'Espagne était une dictature, un pays économiquement arriéré, avec une mentalité traditionnelle. Aujourd'hui, elle nous donne des leçons de modernité sociale.

Or, pour réussir cette intégration, cet amarrage définitif des anciens pays de l'Est, il faut une certaine stabilité des institutions.

Le mode de fonctionnement (unanimité) à 6 pays ou 12 pays ne peut pas être le même qu'à 25 pays. Les risques de blocage sont immenses. C'est sur cet ancien schéma qu'a été négocié le traité de Nice. Il ne permet pas un fonctionnement efficace. Les possibilités d'atteindre des majorités requises sont très limitées avec le traité de Nice.

C'est pourquoi le traité constitutionnel facilite l'obtention des majorités qualifiées, par des nouveaux modes de calcul et en renforçant le poids des pays les plus peuplés, notamment la France et de l'Allemagne.

Poids des droits de vote
Pays Traité de Nice Traité Constitutionnel
France 9 % 13 %
France + Allemagne 18 % 31 %
Six pays fondateurs 36 % 49 %

On peut parler du retour des pays fondateurs, surtout du couple franco-Allemand, garant d'une certaine stabilité.

C'est contre ce ré-équilibrage démographique et démocratique que l'Espagne d'Aznar et la Pologne ont refusé pendant près de deux ans le nouveau traité, qui leur était défavorable. Seul l'arrivée d'un socialiste, Zapaterro, à la tête du gouvernement espagnole a permis de débloquer la situation.

Il a considéré que les intérêts de l'Europe étaient supérieurs à ceux de l'Espagne. Il y a parfois des hommes d'envergure.

Renforcement du fonctionnement démocratique, meilleure visibilité de l'Union, stabilité et efficacité des modes de prise de décision : le Traité Constitutionnel comprend des avancés et des progrès forts. Ils vont dans le sens d'une intégration politique, avec notamment un parlement qui commencera enfin à jouer le rôle d'une véritable « chambre des députés », constituant un pas de plus vers une intégration qui ne sera pas vraiment fédérale, mais qui en aura en partie les attributs.

III/ Les nouvelles dimensions de l'Europe.

Le traité avance très fortement dans deux dimensions, la dimension sociale et la politique de sécurité intérieure et extérieure.

a) D'abord la dimension sociale.

C'est la première fois qu'un traité aborde clairement la dimension sociale, avec les objectifs et valeurs de l'Union, avec la charte sociale européenne dont on a déjà parlé, mais aussi par la clause sociale générale (article III-117) qui encadre les politiques de l'Union et qui permet d'annuler tout acte de l'Union qui ne prendrait pas en compte une dimension sociale.

Les services publics sont garantis (art II -96 et III-122), les syndicats se voient reconnaître un rôle majeur, notamment par l'instauration d'un sommet social annuel tripartite pour la croissance et l'emploi (article I-48).

C'est la Gauche qui s'est battue pour que la charte sociale soit incluse dans le traité.

C'est la Gauche qui s'est battue pour que la partie III, les politiques de l'Union, y apparaissent également. C'était afin d'obtenir une meilleure lecture du traité, pour accroître les domaines d'application de la majorité qualifiée, mais également pour pouvoir y apporter une dimension sociale, alors que libéraux ne voulaient faire qu'un traité institutionnel laissant, à dessein en l'état les « anciens piliers » qui abordent les politiques de l'Union.

Est-ce cela que nous voulons sanctionner aujourd'hui ?

b) L'autre nouvelle dimension concerne les politiques de sécurité.

Dans un monde instable où les réseaux mafieux et terroristes franchissent allégrement les frontières, la lutte contre la criminalité organisée ne peut se faire au seul niveau des Etats.

Le traité pose les fondements d'une Europe de la justice en facilitant les coopérations judiciaires en matière civile et pénale, ainsi qu'un embryon de parquet européen, dont les compétences, pour le moment limitées, pourront être étendues ultérieurement.

Enfin, le traité pose le principe d'un objectif de défense commune, par une clause de solidarité entre les états membres en cas d'attaque terroriste ou une agression extérieure.

D'une certaine manière, il s'agit à nouveau de lancer une dynamique, ou plutôt à ce jour, une orientation vers une défense européenne commune.

Conclusions

Je vous ai présenté, ce que sont, à mon sens, les principales nouveautés du traité, nouveautés qui vont toutes dans la bonne direction.

Dans ce texte, sur 448 articles, 334 sont des reprises d'anciens traités, y compris le traité de Rome. Il n'est donc qu'une étape de plus dans la construction européenne, mais une étape importante et particulière.

Le traité de Rome a posé les fondations de l'Europe, Maastricht a édifié les murs et le traité constitutionnel propose de poser aujourd'hui le toit sur notre maison commune, un toit politique.

Sans poser le toit, on reste à la merci des vents et des tempêtes.

Car finalement, c'est la bien même question qui est posée à la Gauche aujourd'hui que celle de 1954 avec la C.E.D. Voulons-nous d'une Europe politique ? En 1954, la Gauche avait répondu non, et la priorité a été donnée à partir de 1957 à l'Europe économique.

Or aujourd'hui, l'Europe économique est faite, l'Euro en a été le dernier acte.

Alors voulons-nous pour demain d'une Europe politique qui affirme une dimension sociale et écologique, ou voulons-nous uniquement rester avec l'actuelle Europe économique ?

Les partis socialistes et sociaux démocrates d'Europe ne s'y sont pas trompés : ils appellent tous à voter « oui » ;

La Confédération Européenne des Syndicats non plus, puisque la très grande majorité des 77 syndicats européens membres appellent à voter oui.

Finalement, c'est John MONKS, le secrétaire général de la Confédération Européenne des Syndicats qui a bien résumé la situation en déclarant : « Le capitalisme international n'a pas besoin d'une constitution, mais nous, OUI ».



Laurent PEISER
Lyon le 18 mai 2005

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